Symphonie du Nouveau Monde
J'avais 16 ans ...
Le terrible soleil de l'été toulousain estompait ses ardeurs, noyant dans les derniers rayons du jour façades et quais de briques roses: "fleur de corail que le soleil arrose" comme chantait Nougaro.
L'Orchestre du Capitole donnait un concert en plein air sur la Prairie des Filtres, vaste parc en bord de Garonne, poumon de fraîcheur des Toulousains.
Soudain, Michel Plasson, le chef charismatique, lança les premières notes de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak, et ce fut l'éblouissement !
La musique créait alors pour moi des images qui s'imposent encore aujourd'hui à chacune de mes écoutes de l'oeuvre.
Bien des années plus tard, j'ai essayé de mettre en mots ces fulgurances que je vous offre à présent,
Si vous connaissez cette symphonie, peut-être en avez-vous une autre interprétation, alors, si ces images ne sont pas les vôtres, pardonnez-moi de vous les proposer.
Si vous ne la connaissez pas encore, écoutez-la, plongez-y, découvrez-la. Vous n'en sortirez pas indemne !
Vous pouvez aussi, si le coeur vous en dit, ne découvrir que des fragments de l'oeuvre, vous n'aurez aucun mal à en trouver des enregistrements sur internet, (puis-je avouer ma tendresse toute particulière pour le 2ème mouvement?), chaque mouvement peut s'écouter seul, et le poème qui lui correspond se lire séparé des autres.
(les titres donnés à chaque mouvement sont personnels)
1er mouvement Adagio Allegro molto
"1492"
Immense est l'océan aux flancs des caravelles,
Et lent le temps qui passe aux hommes embarqués
Si loin du port d'attache, vers des terres nouvelles
Où nul ne sait si Dieu s'est jamais reposé.
Voici soudain les cieux noircissant sous l'orage,
Le vent remplit les voiles gonflées à éclater,
Les vagues déferlantes accourues du grand large
S'écrasent aux carènes des bateaux malmenés.
Les hommes ébranlés s'entravent sur les ponts,
On amène les focs, on tire des bordées,
De lourds paquets saumâtres remontés des grands fonds
Inondent les marins aux muscles tatoués.
Mais il leur semble alors ouïr dans les rafales
Des airs des temps anciens qu'ils croyaient oubliés,
Et dans ces âmes rudes se réveillent des bals
D'antan dont les musiques vont au vent se mêler.
Sardanes, tarentelles, reviennent aux mémoires
Des matelots mariés aux flots tumultueux,
Et tels des feux follets soudain chargés d'espoir,
Ils narguent en dansant l'océan séditieux.
Un cri s'élève alors, hurlé depuis la hune,
La frénésie s'empare des marins assemblés,
Et l'horizon se pare du relief fantasmé
D'une côte inconnue éclairée par la lune.
2ème mouvement Largo
"Dans la plaine"
L'astre du jour descend, immuable et paisible,
Sur la plaine éternelle aux confins infinis,
Et les femmes s'activent à l'orée des tipis
Préparant le repas des guerriers invincibles.
Autour du feu de camp d'où s'élèvent, légères,
De fines fumerolles emportées par le vent,
Les vieux Sioux à la peau ravinée par le temps
Marmonnent, graves, les prières coutumières.
Là-haut, un éclaireur tapi sur la colline
Veille d'un oeil perçant sur l'horizon lointain,
Pendant que les mustangs aux humides babines
Hennissent aux pensées des courses de demain.
Mais bientôt, aux abords des montagnes de roches,
Des nuées de poussière s'élèvent vers les cieux:
Un troupeau de bisons sauvages qui s'approche
Comme les âmes immortelles des aïeux.
Et les ombres s'allongent au sol d'un condor
Laissant planer ses ailes dans la fraîcheur du soir,
Comme pour habiller cet enfant nu qui dort
Des plumes que son père convoite pour la gloire.
Le chef se dresse alors, debout, face au couchant,
Levant les bras au ciel en pieuse adoration
Devant le dieu soleil, puis, en prosternation,
Salue le jour offrant ses derniers flamboiements.
3ème mouvement Scherzo
"Vers l'ouest"
Dessus la plaine aride hérissée de rochers,
Le Pacific Express étire ses wagons,
Et l'énorme machine noyée dans les fumées
Souffle, grince et tempête sous le soleil de plomb.
Des cavaliers l'assaillent, lancés au grand galop,
Fiers coursiers accourant sus au cheval de fer,
Les reîtres effrontés lancent haut leurs chapeaux
Et tirent vers le ciel des feux de winchester.
Là-bas dans la prairie, des marées de troupeaux
Piétinent l'herbe rase de leurs vagues bestiales
Et meuglent longuement, étirant leurs naseaux
Vers les vents frais courant les hauteurs sidérales.
Le train s'arrête au quai de la ville perdue.
Quelques baraquements bordent l'unique rue.
On entend du saloon des échos de bastringue,
Des chants, des coups de poing assénés sur le zinc.
Dans le lointain s'élèvent les nuées de poussière
D'un convoi de chariots traînant des émigrants
Aux regards enfiévrés, à l'espoir haletant
De l'or promis, au loin, dans les flots des rivières.
Pionniers, ils sont partis, poursuivant le soleil
Vers des contrées où nul n'a vu un homme blanc.
Seulement guidés par l'astre du ciel couchant,
Ils rêvent aux demains rutilant de merveilles.
4ème mouvement Allegro con fuoco
"New York"
Un matin blême vient secouer
La ville qui ne dort jamais.
Le vacarme incessant des camions, des taxis,
Sirènes des polices, alarmes des pompiers,
Entraînent Big Apple dans une frénésie
Où s'allume la vie de l'immense cité.
Chacun court et se presse, chacun s'agite et crie,
En un fracas constant New York s'esbaudit,
Times Square tourbillone sous les feux des néons,
Broadway succombe au rythme des ballets et chansons.
C'est un phare, jour et nuit allumé sur le monde
Où se brûlent parfois les ailes de papillons
Ambitieux, trop pressés de danser dans la ronde
De l'argent, de la gloire et d'un pouvoir abscons.
Mais la cité mégalomane inassouvie
Pétrie dans son orgueil de reine de la terre
Se veut aussi Madone aux portes de la mer,
Abritant sous sa torche réfugiés et proscrits.
Elle est Tour de Babel au tumulte incessant,
Ou phénix moribond et toujours renaissant,
Et fantasme inondant les rêves des enfants,
Et port de liberté dans les yeux des migrants.
Dès la rentrée universitaire prochaine, la poésie figurera au programme des enseignements de Cannes Université.
L'institution cannoise m'a en effet confié l'organisation d'une série de cours groupés en Atelier que j'ai intitulé "Poésie Française Contemporaine".
Il s'agira de 7 conférences mensuelles, entre octobre et avril.
Au cours du programme que j'ai élaboré, nous esquisserons un panorama de la vie poétique actuelle dans notre pays, et nous insisterons sur ce qui se crée sur la Côte d'Azur. Nous traiterons de poésie et chanson française, de poésie et enfance, aborderons plusieurs des thèmes chéris des poètes,en faisant une large place aux lectures de textes contemporains. Les auteurs étrangers francophones ne seront pas oubliés, et nous intégrerons en fin d'année certaines créations des auditeurs.
Ainsi, la poésie trouvera sa juste place au sein des enseignements déjà si riches et si divers de Cannes Université, allant entre autres de la préhistoire à l"histoire de l'art, de la psychologie à l'apprentissage des langues, ou à l'égyptologie ...
http://cannes-universite.fr
textes: Patrice Alzina
photos 2ème et 3ème mouvement: Julien Tallerie
autres photos: Catherine et Patrice Alzina
A bientôt les amis !!!!!!!!!!!!!!!!!